De novembre 2018 à juin 2019, l’Association F93 a porté un projet autour de la notion d’Anonymes. Il s’agissait pour les classes concernées de reconstituer les vies passées « d’anonymes » et « questionner ainsi le rapport de l’histoire avec des individus peu ou mal connus ».
C’est dans ce sens que Mylène Mauricrace, doctorante (EHESS/CIRESC), est intervenue dans une classe de 4ème d’un collège de Montreuil avec leur professeure Véronique Servat. Pendant, neuf mois Mylène a guidé les élèves dans la notion de recherches en sciences humaines afin de retracer le parcours de vie de Gisèle Bourquin, femme des Outre-Mer. Si au départ, ce nom ne parlait pas aux élèves, c’est en se plongeant dans les textes des historiens et historiennes ainsi que dans les indices et sources de leurs « anonymes » qu’ils et elles ont pu aboutir à une ligne de vie finale.
C’est en saisissant donc la notion d’archives que les élèves se sont lancé.es dans une enquête sur leur « anonyme » afin de savoir qui était Gisèle Bourquin ? Que faisait-elle ? Son parcours a-t -il eu un impact sur la société dans laquelle ils et elles vivent aujourd’hui ?
Après s’être plongé.es dans les archives personnelles de Gisèle Bourquin, les élèves ont pu enfin rencontrer leur interlocutrice. Ce moment d’échange s’inscrivait dans une démarche de récolte d’un témoignage oral et est également ancré dans une perspective d’enquête au plus proche de l’intéressée.
Tous ces éléments ont été complétés par un travail de recherche accru à l’aide de différents supports, notamment le fonds des Archives Nationales de Pierrefitte où les élèves ont pu se rendre et être guidé.es par Gabrielle Grosclaude.
Cette ligne de vie terminée, les élèves en sortent avec une autre approche de la recherche historique mais, surtout, avec des éléments de connaissance sur les Outre-Mer qui ne sont pas des moindres.
Le texte suivant a été rédigé par Véronique Servat :
« L’histoire scolaire a ceci de frustrant qu’elle a (trop) souvent tendance, pour une multitude de mauvaises raisons (l’encyclopédisme des programmes, la difficulté à faire parfois entrer des archives et des sources dans la salle de classe par exemple), à délivrer aux élèves un récit ficelé du passé qui lisse voire dissimule les échafaudages qui permettent aux historien-nes de l’élaborer selon une démarche qui leur est propre.
Les programmes scolaires étant eux-mêmes un récit choisi du passé, ils laissent encore trop peu de place aux figures anonymes de l’histoire qui en sont pourtant des moteurs, qu’elles agissent collectivement ou individuellement. Les Outre-Mer y tiennent une place, hélas, marginale.
Le projet pédagogique Anonymes proposé par la F93 m’a séduite car j’espérais qu’il puisse me permettre de déjouer ces pièges de l’histoire scolaire, ce que je ne parviens pas toujours à faire dans mes pratiques de classe. Sous la conduite de Mylène Mauricrace, les élèves de 4èmeA sont entrés dans l’atelier des historien-nes, ils-elles ont collecté au fil de l’année différentes sources parmi lesquelles le témoignage de Gisèle Bourquin, mais aussi des archives plus techniques issues des fonds du site de Pierrefitte, afin de les confronter les unes aux autres. Ce travail les a conduit-es à contextualiser leurs documents et la trajectoire de vie de Gisèle Bourquin. Ce faisant, ils-elles ont découvert les Outre-Mer dans leur géographie – comme une escale vers le monde – dans leur épaisseur historique – comme un voyage dans le passé – dans la puissance de leurs voix – comme autant de jalons dans itinéraire intellectuel, culturel et poétique.
Avec les traces collectées, les élèves ont tenté de restituer au plus près un parcours de vie, s’emparant de différentes formes d’écriture de l’histoire. A l’appui de leurs textes et de l’iconographie qu’ils-elles ont sélectionné (de carte, de photos) ils ont donné forme à une ligne de vie produite affichée sur un des murs du premier étage du collège surplombant le hall central.
Avec ce travail, les rencontres avec Mylène Mauricrace, Gisèle Bourquin, et Matthieu Marion, qui a apporté toute sa logistique au projet, les élèves ont pleinement pris conscience, je crois, de l’impossible linéarité et fatalité de l’histoire, de la multiplicité des trajectoires, de la nécessité de l’altérité et de la culture pour être au monde. Le rayonnement et la méthodologie extraordinaires de Mylène les a conduit-es à cheminer avec appétit dans toutes les étapes du travail à mener. La présence régulière de Gisèle Bourquin à leurs côtés fut leur autre boussole. Une des sections de la ligne de vie confectionnée par les élèves s’intitule L’autre et le monde comme horizon ; cet intitulé ne déplairait ni à Glissant, ni à Césaire. Il dit assez bien ce à quoi nous nous sommes consacré-es cette année, l’enthousiasme des élèves et leur investissement dans cet horizon en ont fait une expérience pédagogique et personnelle assez unique. »