Lundi 2 décembre, l’association DEFHISS organisait au PALAIS DU LUXEMBOURG son 25ème Dîner Festif autour du thème « Discrimination : antiennes ou nouveaux regards? ». La présidente de Femmes au-delà des Mers intervenait sur la question « Discrimination : observer ou construire ? »
Le programme était d’envergure et les intervenants à la hauteur de l’enjeu :
- Monsieur Jean-Michel Quillardet, Avocat à la Cour d’Appel de Paris, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, Chargé d’enseignement de la laïcité à l’Université d’Evry Val d’Essonne, Président de l’Institut International de la Laïcité : «Problématiques actuelles de la laïcité »
- Madame Gisèle Bourquin, Présidente de l’Association Femmes au-delà des mers, Créatrice d’évènements culturels : « Discrimination : observer ou construire» ;
- Madame Anne Salzer, Avocat à la Cour d’Appel de Paris, Secrétaire Générale de la Licra Paris : « Le principe de neutralité, une force pour notre République » ;
- Madame Marie Becquet, Juriste senior Département expertise et affaires judiciaires, Défenseur des droits: « Le rôle du Défenseur des droits dans la lutte contre les discriminations» ;
- Madame Isabelle Germain, Fondatrice du site d’information paritaire « Les Nouvelles News », Présidente de la Commission Stéréotype du Haut Conseil à l’Egalité : « Stéréotypes et discriminations, un cercle vicieux » ;
Télécharger le discours en pdf de la Présidente : Discrimination_observer ou construire
Dîner festif Defhiss au Sénat, lundi 2 décembre 2013
Discriminations : antiennes ou nouveaux regards ?
Discrimination : observer ou construire ?
Communication de Gisèle BOURQUIN
Comment parler sereinement de discrimination aujourd’hui quand l’actualité est si chargée et que les esprits s’échauffent. L’effervescence est grande mais pour combien de temps et avec quels résultats ? Je remercie Odile Lajoix de m’avoir invitée à m’exprimer sur ce sujet difficile.
Discrimination : observer ou construire ? Telle est la question que je pose. Sous entendu quelle attitude adopter, comment agir ? Face à ce terme les attitudes sont diverses voire divergentes.
Peut être la présidente de Defhiss a-t-elle pensé que mon parcours m’autorisait à m’exprimer sur ce sujet complexe. Enfance aux Antilles, adolescence en Nouvelle Calédonie, études à Paris, enseignement à l’université Libre du Congo, résidences en Iran, Afghanistan, ayant résidé dans des contrées aux cultures riches et variées, travaillé en France dans le domaine socio-culturel, j’ai pu observer voire expérimenter – diverses formes de discrimination. Sans pouvoir toujours les décrypter.
Dans un premier temps je m’arrêterai sur le concept discrimination, ensuite je parlerai de ce que l’on constate observer, pour ensuite donner mon sentiment pour avancer.
I. Les discriminations
Quand on dit discrimination, on parle d’une attitude ou d’une forme de traitement entre êtres humains (s’agissant d’êtres humains entre perception et expérience le champ des interprétations est vaste !)
Les discriminations sont un fait reconnu en France, mais leur évaluation quantitative est complexe. L’INED (institut National d’études démographiques) apporte des informations factuelles et chiffrées L’enquête TeO permet de mesurer les discriminations à travers plusieurs indicateurs : les représentations de l’existence des discriminations, l’expérience auto-reportée par les personnes, les situations discriminatoires dans différents domaines de la vie sociale : école, emploi, logement, santé… .
A quel propos la discrimination se manifeste-t’elle ? Voici une classification de l’institut de sondage Opinion Way : l‘apparence physique, l’origine ou le sexe, l’appartenance ou non à une religion déterminée, l’âge, l’appartenance ou non à une nation, le patronyme, la situation de famille, l’appartenance ou non à une ethnie, l’état de santé, les opinions politiques, le handicap, l’orientation sexuelle, les mœurs, les activités syndicales, la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’identité sexuelle… . Rappelons une évidence : un même sujet peut cumuler (croiser) deux ou plusieurs de ces caractéristiques et certaines sont plus flagrantes que d’autres, la grossesse, la peau noire, les cheveux roux… .
Avec discrimination émergent des mots : diversité, identité, égalité, intégration, parité, assimilation sur lesquels je ne m’étendrai pas aujourd’hui.
II. Observer
C’est à dessein que j’ai repris cette longue énumération d’Opinion Way, afin que – devant tous ces cas de figure – chacun de nous se demande, s’il n’a jamais été enclin à discriminer. Moi-même à 27 ans, j’ai choisi d’aller enseigner à l’Université libre du Congo, dans l’atmosphère ambiante, au début j’ai été plongée dans un cercle, il a fallu un effort pour ne pas suivre la meute.
Les discriminations existent, et l’arsenal de mesures qui existent et qui sont en gestation le prouve, s’il le faut. L’importance et l’impact des expériences de discriminations sur les parcours des individus est patente, encore faut-il pouvoir le mesurer. Elles prennent diverses formes bien insidieuses et évoluent selon les contextes.
Devant cette complexité que faire? Ouvrir les yeux, être vigilant et ne rien laisser passer, mais sans en devenir paranoïaque pour autant. Claude-Valentin Marie, sociologue, vice-président de la Halde distingue discriminations avérée et discrimination larvée.
Difficile ! Agir sur le discriminant et le discriminé potentiel ou réel.
Pour la discrimination avérée, il est indispensable de la dénoncer et de la combattre et avec dignité et opiniâtreté et sans violence. Les structures mises en place et les lois les cellules de veille le permettent. La législation existe, il faut y avoir recours et surtout l’aiguillonner.
En revanche la discrimination larvée exige de la subtilité, de la ténacité et de la perspicacité voire de l’abnégation. Les observatoires travaillent, les associations sont actives. L’arsenal juridique est nécessaire mais loin d’être suffisant.
Il n’y a pas de réponses simples à une situation qui diffère selon les contextes. Cherchons les voies pour une amélioration. Il est en effet facile de se déclarer offusqué avec des relents moralisateurs, c’est se donner bonne conscience : l’idéal est de traduire cette réprobation en actes.
Par ailleurs, les cas de discriminations avérées sont si nombreux qu’il est contre-productif de se penser ou se dire à tort discriminé ou jouer sur cette éventualité : cette attitude engendre de la souffrance, de la gêne voire de l’hostilité. Pour pouvoir évoquer sereinement ce fléau et contrer les dérives nombreuses autant le signaler.
III. CONSTRUIRE
Il est indéniable qu’en dehors de la réaction de repli sur soi, générateur de méfiance, il y a un manque de connaissance de l’autre. Ouvrons les yeux et admettons que l’autre est différent – sans vouloir pour autant lui ressembler. « La spécificité des différences est une source de richesse qui mérite le partage » selon Maudy Piot qui a fait un travail pour les personnes en situation de handicap. Nous avons encore beaucoup de travail pour mettre, au cœur de notre démarche citoyenne, la Rencontre, comme outil indispensable d’échanges, de solidarités, d’écoute.
Albert Jacquard disait « La rencontre est la seule façon de se construire ; on l’apprend en vivant une vie de citoyen ; on n’est citoyen que si l’on est capable de rencontrer l’autre. »
S’intéresser à l’autre , à son mode de vie ,aller vers la culture de l’autre est une étape : Il ne s’agit pas de perdre sa propre culture, il y a de part et d’autres des codes que l’on ne peut pas gommer du jour au lendemain , ce qui induit un respect mutuel , une réciprocité.
Offrir des modèles qui servent de repères et estompent les a priori, des personnes qui – quel s que soient leur origine , leur milieu familial , leur condition – font leur chemin , réussissent et apportent à l’autre.
Femmes au-delà des Mers s’inscrit dans cette démarche. Avec le concours d’hommes et de femmes l’association souligne l’apport de la femme à la société toute entière. Dans un premier temps, elle focalise sur les femmes de « la planète outre-mer ». Mettre en exergue des parcours hors pair des femmes , démontrer ainsi que l’on apporte sa pierre à la société quelles que soient les embûches , susciter des regards croisés pour avoir les éclairages de tous les horizons . En effet de la répartition géographique par-delà les océans, avec une instruction commune, par la complémentarité et la richesse de leurs cultures, la variété des populations, le monde dispose d’un véritable laboratoire.
Notre credo « Les univers se répondent et s’enrichissent mutuellement » : cette phrase de René Depestre incite à l’ouverture à l’autre, et exclut agressivité et passage en force. Déconstruire les préjugés exige constance et vigilance.
Comment faire, quand on part avec un handicap réel ou supposé, pour s’insérer dans un monde difficile où la compétition est rude, où l’arrivée des meilleurs est favorisée et les postes rares ?
Réponse : s’imposer par sa compétence, son savoir-faire et savoir-être ! Certains parcours exceptionnels et, dans tous les milieux, doivent servir de stimulant. . La donne a changé, la valeur ajoutée de la qualification est de plus en plus prégnante. De même, l’on doit être intraitable avec ceux qui voient de la discrimination quand simplement ils ne répondent pas aux exigences du poste. La situation est déjà bien difficile autant ne pas la polluer .
Des pistes :
- Etre solide sur ses bases sans avoir besoin pour s’affirmer de trouver plus faible, plus moche que soi
- Avoir une identité claire, ce qui vous permet d’être ouvert à l’autre : ne pas s’aliéner (cf. Frantz Fanon)
- Avoir confiance en soi et se donner les moyens de s’imposer :
« Vous restreindre, vivre petit, ne rend pas service au monde. L’illumination n’est pas de vous rétrécir pour éviter d’insécuriser les autres. Au fur et à mesure que nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la permission de faire de même. En nous libérant de notre propre peur, notre présence libère automatiquement les autres ». Nelson Mandela
Il faut reconnaître, tout en le regrettant, qu’en situation de handicap, on est souvent contraint à plus d’efforts, c’est valable pour les toutes les personnes en situation de handicap, pour les femmes, pour les « personnes issues de la diversité » comme on dit pudiquement etc.
« Un pas, un autre pas et tenir gagné chaque pas, c’est d’une remontée jamais vu que je parle et malheur à celui dont le pied flanche » disait le Roi Christophe.
Conclusion
Thème de ce dîner Discrimination : antiennes ou nouveaux regards ?
Antiennes : oui ! La discrimination existe depuis longtemps, elle prospère sous différentes formes.
Nouveaux regards oui !
L’essentiel est de prendre conscience que la discrimination rôde et de la combattre en nous et autour de nous : ayons de nouveaux regards.
Focalisons sur la réussite et il y a du potentiel. Soyons constructifs et cessons d’être condescendants avec ceux qui sont passifs ou ont un comportement déviant. Le monde évolue et les paramètres changent.
Difficile ? oui !
Utopique ? pas sûr !
L’histoire est en marche. Il y a eu des avancées indéniables, plongeons dans les livres d’histoire. Citons le droit de vote des femmes en France en 1945 seulement, la suppression de l’apartheid en Afrique du sud, en 1991, les personnes handicapées physiques dans l‘entreprise, les lois contre la discrimination… La République a évolué mais il y a des traces des séquelles et les observatoires, les lois etc accompagnent cette évolution
Cependant les disparités et les inégalités criantes subsistent la liste est encore bien longue, droit des femmes, le plafond de verre ;les femmes au Panthéon, … . Pour les gommer, les bonnes intentions ne suffisent pas. Ce qui est primordial, c’est un profond travail pour modifier les mentalités.
Les racines d’un futur harmonieux résident en une prise de conscience et une vigilance sur son propre comportement.
Je conclus avec Rosa Parks : « Jusqu’à présent, je crois que nous sommes sur la planète Terre pour vivre, nous épanouir et faire notre possible pour rendre ce monde meilleur afin que tout le monde puisse jouir de la liberté. »
Gisèle BOURQUIN, décembre 2013
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